
Source : La vie et les épitres du bienheureux Henri Suso, publié par François Emile Chabin, 1842, pp. 110-120.
Un jour frère Henri ayant quitté le couvent pour une affaire dont il était chargé, il arriva à un lieu où étaient réunis un grand nombre de marchands à l’occasion d’une foire. Le bruit courait alors que les Juifs empoisonnaient toutes les eaux de l’Europe.
Le compagnon du saint, qui l’avait quitté un instant, fut soupçonné, pour quelques paroles indifférentes ou pour quelques raisons frivoles, d’être de leur complot. On l’entraina sur-le-champ, et comme il cherchait à se défendre en disant que pareil projet ne s’était jamais offert à son esprit, et qu’il était seulement venu pour accompagner frère Henri, qui était chargé d’une affaire importante, on l’emprisonna, et on tâcha d’arrêter le religieux dont il parlait dans la persuasion que c’était là le principal coupable.
Le peuple se répandit dans les places et dans les rues en criant : Mort, mort au traître ! — Cherchons-le et tuons-le ! — Chacun courait où il espérait le trouver, rompant les portes, bouleversant les maisons, ouvrant les meubles, défaisant les lits, entrant partout sans rien épargner.
Quelques personnes de la ville qui connaissaient le saint rendirent témoignage de ses vertus et protestèrent que ce religieux était si bon qu’il lui eût été impossible de songer seulement à un crime si abominable ; mais leurs discours firent peu sur cette foule insensée qui n’écoutait que le premier bruit et ne songeait qu’à saisir le prétendu coupable. Frère Henri ne voyant point revenir son compagnon demanda simplement où il était, et quand il sut qu’il était en prison, n’écoutant pas la crainte qu’il pouvait avoir pour lui-même, il fit tant auprès du gouverneur qu’il obtint sa délivrance malgré tous les obstacles.
Mais à peine était-il sorti de chez le gouverneur, qu’une grande fermentation s’éleva parmi le peuple ; on chargeait frère Henri de malédictions et d’imprécations, on tâchait de le découvrir et de le prendre pour le jeter dans le Rhin. Au milieu du pressant danger qui le menaçait lui et son compagnon, le bienheureux ne savait quel parti prendre. Il résolut de fuir secrètement pour laisser calmer le tumulte et de se retirer dans une ville voisine, mais personne ne voulut le recevoir et le cacher.
Alors il alla se réfugier dans la haie d’un jardin, et là, à travers les épines, il levait vers le ciel ses yeux encore plus remplis de sang que de larmes. 0 père d’éternelle bonté, disait-il, que faites-vous ? comment ne secourez-vous pas votre malheureuse créature, lorsqu’elle se trouve dans de telles angoisses.. Miséricordieux Seigneur, m’avez-vous donc tant oublié ! mon père, qui êtes si tendre et si bon, je vous en conjure, secourez-moi dans cette extrémité, mon cœur se meurt de crainte, je perds tout espoir, et pour remplir le vœu féroce de cette populace, il ne me reste plus qu’à être noyé, ou brûlé, ou percé d’une lance et abandonné aux corbeaux ; oui, je vous recommande mon âme désolée. Que votre tendresse s’alarme enfin de la mort cruelle qui me menace ; hélas, ceux qui me cherchent pour me tuer ne sont pas loin.
Dieu n’abandonne jamais réellement ses serviteurs ; un prêtre qui passait par le jardin aperçut le bienheureux et entendit ses plaintes déchirantes, il le retira du buisson, l’arracha des mains de la populace, le conduisît dans sa maison et le garda toute la nuit. Le lendemain frère Henri partit avant l’aurore, et échappa ainsi à la mort qui le menaçait.
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Benoit Gallez 23 hoursLire plus...